De l’héritage des guerres aux perspectives contemporaines: La politique étrangčre de la Hongrie
Ayant échappé ŕ la sphčre d’ influence exclusive de l’ URSS ( 1989-1991), et ayant recouvert son indépendance ( détruite par l’ Allemagne nazie, puis par l’ URSS), la Hongrie, en tant qu’un petit Etat d’ Europe centrale, a retrouvé sa liberté d’ action et s’est retrouvé face ŕ une série de choix en ce qui concerne sa sécurité. Ce libre choix de son destin a engendré une situation curieuse, inédite pour un pays qui, au cours du XX čme sičcle n’ avait pas le privilčge de pouvoir choisir ses frontičres – en 1919/1947 les grandes puissances victorieuses qui avec leur infinie sagesse et leur savoir-faire trčs poussé d’ apaiser les conflits entre les petits peuples d ’Europe centrale et orientale, ont déterminé ces frontičres -, ni ses régimes – le régime Horthy doit sa naissance ŕ l’entente ( la mission du diplomate britannique George Russel Clerk ), tandis que deux fois le gouvernement hongrois d’ aprčs guerre était constitué ŕ Moscou : en 1944, le gouvernement d’ une seule personne, János Kádár par N.Sz. Khroutchev.
Le probléme central de la diplomatie hongroise entre deux guerres
Depuis sa naissance comme Etat indépendant, le problčme central de la diplomatie hongroise était la non-coďncidence des frontičres de l’Etat avec celle de la Nation. Petit Etat, la Hongrie était dominée dans cette aire géographique par les deux grandes puissances, l’Allemagne et l’Union soviétique. L’indépendance et męme la viabilité de cet Etat n’était pas une évidence. Entre les deux guerres, la Hongrie essaya de modifier le traité de paix imposé le 4 juin 1920 dans le Grand Palais de Trianon. Ce pays, en cherchant des alliés, se retrouva comme une alliée involontaire de l’Allemagne nazie, seule ŕ pouvoir satisfaire les revendications territoriales de la Hongrie. L’autre grande puissance anti-statu quo, l’Union soviétique, depuis l’écrasement de la révolution bolchevique en 1919, et vu les conditions de la naissance du régime Horthy, ne pouvait bien naturellement pas devenir un partenaire pour récupérer les territoires perdus, męme s’il s’agissait de la Roumanie. Les choix politiques d’un régime contre-révolutionnaire conservateur qui manifestait des velléités évidentes pour préserver sa neutralité armée dans le deuxičme conflit mondial conduisirent inexorablement la Hongrie dans le camp des perdants. En effet, les modifications territoriales (premier et deuxičme arbitrages de Vienne du 2 novembre 1938 et 30 aoűt 1940 et l’agression commise contre la Yougoslavie au mois d’avril 1941) furent de courte durée et renversées par les alliés anti-fascistes. La Hongrie, le 19 mars 1944 par l’Allemagne nazie, subit une défaite totale par l’Armé Rouge.
Le rčglement de paix aprčs la Deuxičme Guerre mondiale et la Hongrie
En 1945, la diplomatie de la nouvelle Hongrie repartit de zéro. La Commission de Contrôle Alliée dominée par les Soviétiques accapara les attributs de l’autorité de l’Etat. L’occupation par des millions de soldats de l’Armée rouge et la formation par les Soviétiques d’un gouvernement démocratique multipartite limitčrent l’indépendance et la souveraineté de l’Etat. L’objectif central devint, cette fois-ci, la restauration de l’indépendance perdue. Ce n’était possible que par l’obtention du retrait des troupes soviétiques. Or, ce retrait tant désiré dépendait de la capacité des grandes puissances anti-fascistes ŕ régler tous les problčmes majeurs de paix en Europe, y compris la conclusion d’un traité d’Etat avec l’Autriche et un traité en bonne et due forme avec l’Allemagne. Toutefois, la présence militaire soviétique alla de paire avec une exploitation sans pitié des ressources humaines et économiques de la Hongrie. La souveraineté fut donc limitée du point de vue militaire et économique. A cela s’ajouta le droit des puissances occupantes de réglementer les relations extérieures du pays ennemi jusqu’ŕ la conclusion du traité de paix écrit par les trois grandes puissances (l’Union soviétique, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne). Par ailleurs, les négociations du traité de paix avec les anciens satellites de l’Allemagne nazie (Italie, Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Finlande) en 1945 et 1946, au Conseil des Ministres des affaires étrangčres redéfinirent les frontičres en Europe. Une des conséquences directes de ce rčglement territorial, qui s’est révélé durable, fut les déplacements de population qui s’en suivirent. La Tchécoslovaquie réussit ŕ obtenir la révision de la frontičre de Trianon au détriment de la Hongrie : la tęte de pont de Bratislava, avec ses trois villages enlevés ŕ la Hongrie, avait pour bűt de renforcer la sécurité de la capitale slovaque et de construire des barrages sur le Danube, ce qui est devenu une pomme de discorde entre les deux Etats ŕ la fin de ce sičcle. Le transfert forcé des Hongrois de la Slovaquie en Hongrie, l’émigration volontaire des Slovaques de Hongrie vers la Slovaquie et l’expulsion d’une partie des Allemands de Hongrie changea considérablement la composition ethnique de la nouvelle Hongrie. Mais l’essentiel n’était pas lŕ. Jusqu’ŕ la fin de 1946, Américains et Britanniques tentčrent tout ce qui était possible pour éliminer les troupes soviétiques de la Hongrie en rendant ŕ ce pays une chance de construire un avenir libre, indépendant et démocratique. Toutefois, l’impasse des négociations du traité d’Etat avec l’Autriche entre les Alliés en 1947 empęcha la séparation de la question hongroise de celle de l’Autriche. L’Union Soviétique s’assura le droit de faire stationner des troupes de liaison en Hongrie et en Roumanie pour sa zone autrichienne sans limitation dans le temps. Cet accord tripartite, soviéto-anglo-américain se révéla fatal pour la Hongrie.
La Hongrie dans la guerre froide
Au moment de l’entrée en vigueur du traité de paix avec la Hongrie le 15 septembre 1947, l’indépendance de l’Etat se trouva restaurée, mais en principe seulement. En réalité, le commencement de la Guerre froide et la division de l’Allemagne et de l’Europe en deux déclencha une soviétisation forcée de la partie Est de l’Europe, dont l’une des premičres victimes devint la Hongrie. Entre 1947 et 1989, la Hongrie fut un Etat satellite de l’Union soviétique qui se vit confisquer son indépendance d’Etat. Męme sa politique intérieure fut assujettie ŕ la politique soviétique et il était hors de question de prendre des initiatives de politique extérieure sans l’aval de Moscou. Cette perte d’indépendance rendit superflue la recherche de signes d’autonomie par rapport ŕ la direction soviétique, sauf la révolution hongroise de 1956 qui démontra, pour un moment seulement, ce que le peuple hongrois souhaitait vraiment s’il avait le libre choix de son destin.
La révolution hongroise du 23 octobre au 4 novembre 1956 dut sa naissance ŕ la conjonction unique des circonstances aprčs la mort de Staline. La conclusion du traité d’Etat avec l’Autriche, la déclaration de neutralité et le retrait des troupes alliées qui suivirent montrčrent aux Hongrois que l’Union soviétique était pręte ŕ négocier avec ses anciens alliés son retrait d’un petit Etat d’Europe centrale. La réconciliation entre Tito et Krhoutchev suscita un espoir en ce qui concerne l’acceptation soviétique des différentes voies de la construction du socialisme. La dénonciation du stalinisme au mois de février 1956 au 20č Congrčs du Parti Communiste de l’Union soviétique créa l’illusion que la nouvelle direction soviétique avait renoncé ŕ l’impérialisme féroce exercé par le dictateur. Le précédent immédiat créé par le compromis négocié entre les Polonais et les Soviétiques ŕ Varsovie, et le statut spécial qui fut accordé ŕ la Pologne renforcčrent le sentiment des Hongrois que la tentative de récupération de l’indépendance nationale et l’exigence centrale de la révolution, c’est-ŕ-dire le retrait des troupes soviétiques, étaient dans le domaine du réel. L’irruption de la crise de Suez et l’absence d’un soutien occidental ŕ la révolution hongroise, autrement dit, l’effondrement de la politique de “ libération ” des Américains et principalement la réaction de la vieille garde stalinienne appuyée par les Chinois et les pays voisins de la Hongrie rendirent impossible la solution du conflit par la voie pacifique. La tentation de neutralité, qui effleurait déjŕ en 1947, était vouée a l’ échec dans ses conditions . Par conséquent, la constitution d’un gouvernement d’une seule personne, Janos Kadar, ŕ Moscou, l’intervention armée avec l’accord de Tito et la tentative de restauration de l’ancien régime communiste stalinien s’en suivirent.
Entre 1956 et 1958, le régime Kádár imposé par les Soviétiques repartit de nouveau de zéro. Le dogme central de la politique étrangčre de la Hongrie devint jusqu’ŕ la fin de 1989 l’adaptation flexible au virage de politique intérieur et extérieur de l’Union soviétique. Le traumatisme était profond. Toute la société hongroise, et pas seulement les partisans du régime Kádár, était profondément convaincue que la moindre réforme intérieure s’éloignant du systčme soviétique ou toute velléité d’ouverture vers le monde extérieure provoqueraient une intervention militaire massive de l’Union soviétique. Cette limitation de la souveraineté engendra une prudence excessive, voire une acceptation tacite de la domination soviétique et du régime communiste de la part de toute la société. Cette peur devint si ancestrale que męme au moment de la dissolution progressive du contrôle soviétique, le respect des limites de cette “ tolérance ” soviétique était une rčgle respectée par tous. Cette autolimitation conduisit ŕ la paralysie, voire ŕ l’immobilisme, du régime Kádár dans les années 1970-80.
Aprčs 1963, Kádár s’identifiant au renouveau kroutchévien réussit ŕ forger un chemin spécifique de la “ construction ” du socialisme ŕ l’intérieur du camp soviétique. En 1968, il introduisit une réforme économique sans démocratiser le pays . Comme disait François Fejtő, il introduisit des libertés, sans la liberté. Kádár fut contraint d’accepter l’invasion de la Tchécoslovaquie malgré lui. Cette intervention brutale mit fin pour une vingtaine d’années ŕ toute tentative de réforme ou d’ouverture vers le monde occidental dans la partie Est de l’Europe. Pour ainsi dire, le temps s’arręta entre 1968 et 1988. L’immobilisme politique du régime de Brejnev déclencha la derničre intervention soviétique ŕ la fin de 1979, en Afghanistan. En 1980-81, en revanche, les Soviétiques préférčrent pousser les Polonais ŕ intervenir eux-męmes contre leur population, changeant radicalement la méthode des interventions militaires soviétiques massives dans l’empire extérieur. Avec le vieillissement et le départ de l’ancienne direction soviétique, le régime dépérissait subrepticement. Le contrôle soviétique sur l’Europe s’était dilué bien avant l’arrivée de Gorbatchev au pouvoir. Et pourtant, les traumatismes précédents et le renouveau de la Guerre froide cachčrent aux peuples d’Europe centrale et orientale ce changement radical dans la politique soviétique. Il était d’autant plus difficile de se rendre compte de ce changement de données fondamental que la politique gorbatchévienne entre 1985 et 1988 donna au contraire le sentiment que la Perestroďka (restructuration) et la Glasnost (transparence) allaient donner un nouveau souffle au régime soviétique. Gorbatchev réussit ŕ négocier une nouvelle détente avec les puissances occidentales. Et tout cela changea considérablement la donne intérieure dans la sphčre d’influence soviétique.
La Hongrie en quęte de sa sécurité
Le changement commencé dans l’Europe située entre l’Allemagne et l’Union soviétique (“ the land between ”) n’était pas voulu ni par les dirigeants soviétiques et encore moins par les puissances occidentales. Ces derničres voulaient aider la politique gorbatchévienne et n’avaient nullement envie de menacer la détente et le désarmement entre les deux camps opposés en appuyant des tentatives démocratiques intempestives dans la sphčre contrôlée par Moscou. Gorbatchev visait l’unification du continent européen par la dissolution progressive des deux blocs militaires, et ŕ l’intérieur de son pays par l’établissement d’un Etat de droit socialiste. Les négociations de la table ronde en Pologne entre le Parti et l’opposition qui conduisirent en été 1989 ŕ l’établissement ŕ un gouvernement non communiste bouleversčrent le jeu. La Hongrie, aprčs une longue évolution - de l’entrée du pays au Fonds Monétaire International et ŕ la Banque Mondiale en 1982 jusqu’ŕ l’implosion du parti et au départ de Kadar au mois de mai 1988-, suivit le mouvement.
Le régime hongrois se décomposa dans les 18 mois qui suivirent la conférence du Parti mettant fin ŕ 33 ans de rčgne de Kádár. Une lutte de pouvoir sans merci se développa alors entre les différences tendances du Parti, débouchant au printemps 1989 sur le commencement des négociations entre l’opposition et les autorités communistes. La réhabilitation d’Imre Nagy en 1989 et ses funérailles officielles démontraient déjŕ la dilution complčte de l’Etat-parti. L’accord entre l’opposition et le pouvoir le 18 septembre 1989 rétablit l’Etat de droit et ouvrit la voie aux élections libres. Début octobre 1989, la dissolution du Parti communiste et la fondation du Parti socialiste marqučrent le début d’une période de vide du pouvoir. Les divers partis de l’opposition prirent l’initiative politique et une coalition non communiste remporta les élections au mois de mars avril 1990.
A/ La liquidation de l’alliance soviétique
Dans ces conditions, la diplomatie hongroise retrouva le chemin vers l’indépendance. Le 11 septembre 1989, le gouvernement hongrois, en ouvrant les frontičres aux réfugiés est-allemands, contribua largement ŕ un tournant dans l’histoire européenne et mondiale : la réunification des deux Allemagnes. Les négociations sur le retrait des troupes soviétiques de la Hongrie commencčrent au mois de février 1990 pour aboutir ŕ la réalisation de celui-ci au mois de juin 1991. Au printemps 1990, le nouveau gouvernement librement élu plaça au centre de sa politique extérieure la récupération de son indépendance et de sa souveraineté nationale. La politique étrangčre de la Hongrie atteignit ses objectifs par la voie des négociations et le jeu de l’alliance des petits Etats. En 1990-1991, l’axe Budapest-Varsovie-Prague, plus tard la coopération de Visegrad, un ensemble régional réguličrement détruit par la politique soviétique (1956, 1968, 1980-1981) qui voulait empęcher la reconstitution du “ cordon sanitaire ”, joua un rôle instrumental dans la dissolution du Traité de Varsovie et du CAEM (Comecon). Des choix fondamentaux de la politique étrangčre de la Hongrie ont été opéré entre 1989 et 1991 : le retrait des troupes soviétiques, l’initiative de dissoudre l’alliance soviétique et la volonté clairement exprimée ŕ échapper une fois pour toute de la domination soviétique. La Hongrie, incorporée de force et maintenue par la force dans l’ alliance soviétique, n’ a rien “ reçu ”, par rapport aux autres, que le socialisme type soviétique- la Roumanie étant récompensée de la part de Staline par le rattachement de la Transylvanie, la Pologne par la Prusse orientale, la Tchécoslovaquie, par la possibilité d ‘expulser les Allemands et les Hongrois. Les intéręts nationaux ( frontičres, minorités hongroises) de la Hongrie ont été lésé par l’ URSS et ses alliées.
La Hongrie devait choisir une politique étrangčre et de défense dans un contexte bien particulier. Le rétablissement de la coopération des grandes puissances rendit une éventuelle orientation occidentale inoffensive pour Moscou. Or, une exigence nouvelle surgit : pour ne pas devenir l’ arričre-jardin de l’ Allemagne, la Hongrie a clairement rejeté l’ idée d’ une nouvelle orientation unilatérale et s’ ouvrit vers la France, La Grande-Bretagne, voir les Etats-Unis d’ Amérique . En principe, les peuples de PECO ayant échappé ŕ l’influence exclusive de deux grandes puissances qui dominaient naturellement la région –l’Allemagne et l’ URSS/Russie- pouvaient enfin régler leur conflit sans l’ intervention ou l’arbitrage des grandes puissances. Ils pouvaient utilisé ceette liberté dans les deux sens:
a/ ouvrir la voie des négociations et de coopération, établir une paix durable dans la région, ne pas menacer l’ ordre international, par la volonté librement manifestée de ses peuples réaliser une fédération de l’intérieur de la région, recomposer le paysage politique de la région, or
b/ régler les vieux comptes par les armes ( voir le conflit de Yougoslavie qui est né de la volonté de vaincre l’ Autre).
La Hongrie tentée en 1947/1956 par le neutralisme s’ engageait sur la voie de la coopération régionale. Elle faisait partie des combinaziones (Quadra-,Penta-,Hexagonale, l’Initiative Centre-Européenne), du ministre des affaires etrangeres italien, de Michelis. En 1991, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie lançait la coopération de Visegrád. Budapest participait dans la coopération subrégionale Alpes-Adriatique, ainsi que dana la région euro-carpatique. Mais toutes ces initiatives n’étaient que des pis-aller aux yeux des décideurs politiques, „en attendant Godot”, c’est-ŕ dire une possibilité d’entrer dans l’UEO/OTAN, ou la formation de cette PESC qui n’ en finissait ŕ naître par at dans le conflit yougoslave.
Sortie de la sphčre d’influence exclusive de l’Union soviétique, la diplomatie hongroise choisit donc une orientation occidentale. Dčs 1991, la Hongrie voulut adhérer ŕ l’OTAN et la Communauté européenne (ŕ partir de novembre 1993, ŕ l’Union Européenne. Or, dans l’ombre de la crise yougoslave, la voie de l’intégration euro-atlantique devait conduire ŕ la pacification de la région de l’Europe centrale. Faute de traités de bon voisinage, la Hongrie dut trouver un modus vivendi avec ses voisins. La nouvelle dimension de la politique étrangčre de la Hongrie, c’est-ŕ-dire, la protection des minorités hongroises vivant dans les pays voisins, paraît compliquer l’atteinte de l’objectif central. En effet, la Roumanie d’Iliescu, la Slovaquie de Meciar, la Serbie de Milosevic et la Croatie de Tudjman étaient peu enclins ŕ respecter les rčgles de l’Etat de droit, voire les droits de l’homme tout court. Le premier succčs de la diplomatie hongroise fut d’avoir été le premier Etat ŕ reconnaître l’indépendance de l’Ukraine et de conclure un traité de base incluant une déclaration de la protection des minorités avec le nouveau gouvernement de Kiev.
B/ La Hongrie et la crise des successions d’ Etat
La Hongrie se retrouva dans un contexte géopolitique inattendu et unique en 1991 : trois de ses voisins, des Etats fédéraux se désintégrčrent, l’URSS, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie. Ces crises de succession d’Etat intervinrent sans aucune ingérence ou intervention du monde extérieur, et bien naturellement sans l’intervention des autorités hongroises ou de l’armée hongroise (Honvédség). La lutte des peuples pour la succession d’Etat engendra des conflits. L’implosion des Etats fédéraux artificiels multiplia le nombre des voisins de la Hongrie : entre 1991 et 1993 la Slovaquie, l’Ukraine, la Serbie, la Croatie et la Slovénie formčrent des nouveaux Etats ŕ la frontičre de la Hongrie outre les Etats voisins déjŕ existants : l’Autriche et la Roumanie.
Le conflit yougoslave (1991-1995) fit de l’ombre sur toute la partie Est de l’Europe. L’incapacité d’arriver ŕ des compromis entre les parties en conflit, l’insécurité générale et l’impossibilité du monde extérieur d’avoir une prise sur les belligérants pour arręter la guerre provoqučrent une réponse de l’Europe occidentale. Le plan Balladur (le pacte de stabilité) entre 1993-1995 partit du principe de la diplomatie préventive afin d’empęcher la répétition des conflits type yougoslave et visait essentiellement la Hongrie. La conclusion des traités de base entre, d’une part, la Hongrie et, d’autre part, la Slovaquie et la Roumanie servirent de modčle pour les autres dans la région. Or, le plan Balladur résumait les vues les plus sombres des grandes puissances occidentales sur la nature des petites nations d’Europe centrale et orientale. Le pacte de stabilité mettait non seulement en doute la capacité de ces Etats ŕ régler eux-męmes leurs conflits, comme des peuples majeurs (adultes), mais aussi leur sagesse : il était difficilement imaginable ŕ cette époque qu’ils pouvait gérer leurs affaires sans conflits armés. Cette vision pessimiste sur la nature de ces peuples supposés sanguinaires, irresponsables, en conflit permanent entre eux conduisit le monde occidental ŕ faire une généralisation hâtive sur toute la partie Est de l’Europe. La consolidation des frontičres devint donc l’objectif central, le respect des droits des minorités étant subordonné ŕ cet objectif. Le traité de base entre la Hongrie et la Slovaquie conclu en mars 1995, resta lettre morte en ce qui concerne la protection des minorités ŕ cause du gouvernement de M. Vladimir Meciar (le chef du gouvernement slovaque avait męme envisagé la constitution d’un Etat purement slovaque en reprenant la politique tchécoslovaque de 1945 envers les Hongrois), tandis que le traité roumano-hongrois donnait de meilleurs résultats suite ŕ l’alternance intervenue en Roumanie et ŕ l’intégration de Hongrois dans le gouvernement roumain. L’Union Européenne apparut ainsi comme un facteur fédérateur extérieur. La faiblesse de la volonté de coopération régionale entre les petits peuples (sauf peut-ętre la coopération de Visegrád) incita l’Occident ŕ une intervention diplomatique préventive. Le systčme territorial fut consolidé dans le cas des frontičres qui étaient le moins menacées par un changement dű ŕ des conflits armés. De nouveau, un facteur extérieur est apparu comme fédérateur de l’ Europe central et oriental : l’ Union Européenne.
C/ La Hongrie- pilier de stabilité dans la région
Entre 1994-1999, la réponse de la Hongrie ŕ cette transformation de la région était en phase avec la politique occidentale La consolidation des frontičres était considérée comme une condition préalable ŕ l’élargissement de l’OTAN et de l’Union Européenne, l’objectif central de la diplomatie hongroise. L’expérience historique aidant, la Hongrie fit tout pour éviter de devenir un Etat “ front ”, frontičre ŕ tout prix. Le cauchemar des décideurs politiques devint la répétition des conflits types 1914,1941,1948-1956 avec la Serbie/Yougoslavie. Les conséquences économiques de l’embargo contre la Yougoslavie ne créčrent que des perdants parmi les Hongrois des deux cotés de la frontičre : le sud de la Hongrie subit le blocage du transit Budapest-Istanbul et les 400 000 Hongrois de Voivodine se sont appauvris rapidement : cinquante mille d’entre eux ont émigré de Yougoslavie en cours de la derničre décennie.
La Hongrie essaie de maintenir sur leur sol natal les 1, 6 millions Hongrois de Roumanie, les 600 000 Hongrois de Slovaquie, et les 200 000 Hongrois d’Ukraine. Pour améliorer leur sort, la diplomatie hongroise poursuit une politique d’amitié et de bon voisinage et soutient l’intégration des pays voisins dans l’OTAN et dans l’Union Européenne, trouvant ainsi la solution politique de long terme pour les minorités hongroises qui désirent maintenir vivants les contacts dans les Etats du bassin carpato-danubien. Depuis les années 1970, le rideau de fer entre la Hongrie et –ŕ cette époque- la Roumanie de Ceausescu, a entravé la libre circulation des idées et des personnes. Depuis lors, la Hongrie insiste sur cette liberté de circulation dans l’intéręt national bien compris. En effet, la libre circulation des idées et des personnes est considérée comme une condition essentielle pour maintenir les échanges entre les Hongrois séparés par les frontičres.
La Hongrie a aussi voulu jouer le rôle du meilleur élčve parmi les pays de “ l’Est ”, candidats ŕ devenir membre de l’UE. Jusqu’ŕ son entrée ŕ l’OTAN, la Hongrie –différence notable avec la Pologne- essaya de rassurer la Russie. Son entrée accélérée dans l’alliance atlantique s’explique non pas parc qu’elle se sentait menacée (par exemple par le retour d’une Russie expansive) ou indéfendable (avec une armée réduite ŕ 56 000 soldats), mais par la volonté “ symbolique et sentimentale ” de la majorité des Hongrois d’appartenir ŕ l’Occident. Le référendum du novembre 1997 sur l’entrée ŕ l’OTAN (avec un taux de participation de moins de 50%) a confirmé ce choix : 85% ont voté pour, 15 % contre (l’extręme gauche communiste et l’extręme droite nationaliste). Ce mouvement réfléchi de la société hongroise, et cette volonté de rupture avec l’Est marquent un tournant dans l’histoire de la Hongrie. Aprčs avoir joué le rôle de l’alliée malgré elle avec l’Allemagne nazie, de “ bastion ” de la politique stalinienne contre la Yougoslavie de Tito, dans les années de détente, de “ pont ” entre l’Est et l’Ouest, la Hongrie a retrouvé son orientation occidentale “ millénaire ” en devenant un pilier de stabilité de l’Europe centrale et un pôle d’intégration européenne. A l’opposé de l’enseigne de Bismarck : “ les bons élčves ne demandent jamais rien, mais ils ne reçoivent jamais rien ”, la Hongrie devra ętre récompensée, en obtenant la possibilité de faire valoir ses intéręts dans une alliance atlantique et une intégration européenne équilibrée, non-dominée par une seule puissance. On est loin du jugement d’Henri Gauquié, envoyé français ŕ Budapest qui, en 1946, parla de la Hongrie comme d’un “ enfant tard et venu ” dans la famille des nations démocratiques. Le prisme a considérablement changé. Pour les grandes puissances européennes qui désirent stabiliser et pacifier l’Europe du Sud-Est, la Hongrie est devenue un partenaire qui peut montrer l’exemple aux autres. Les choix appartiennent toujours aux grands acteurs européens. Néanmoins, la Hongrie a amplement démontré pendant la derničre décennie, que beaucoup dépend du comportement des petites nations : leurs choix de poursuivre une politique du rčglement des différends par la voie pacifique, la voie des négociations et de faire unir leurs efforts dans des coopérations régionales (par exemple Visegrád, Initiative centre européenne) diffčrent sensiblement des peuples d’ex-Yougoslavie qui croient pouvoir régler leurs différends par les armes en remportant des victoires sur l’autre.
La crise du Kosovo au printemps 1999 a confirmé ce rôle de stabilisateur et pacificateur de la Hongrie en Europe centrale. Entrée officiellement ŕ l’OTAN le 12 mars 1999, la Hongrie a pleinement participé dans les décisions alliées entre le 24 mars et le 10 juin, en faisant valoir ses intéręts propres si c’était nécessaire. Seule alliée ayant une frontičre commune avec la Yougoslavie, donc directement exposée aux représailles éventuelles, la Hongrie a néanmoins joué la carte de la modération. Opposée ŕ l’idée d’une offensive terrestre, adoptant un profil bas lors du déroulement du conflit, jouant un rôle crucial dans la derničre phase vis-ŕ-vis de la Russie (blocage d’une opération aéroportée russe ŕ Pristina) au détriment de ses intéręts immédiats, cette prudence de la Hongrie s’explique aussi par l’existence d’une minorité hongroise directement menacée en Vojvodine et par les souvenirs séculaires du danger venant des Balkans qui ont mis en péril non seulement la souveraineté et l’indépendance, mais l’existence męme de l’Etat hongrois. La Hongrie ne s’est pas révélée comme “ fauteur de troubles ” dans la région, menace tant décriée dans le passé par ses voisins. Dčs le début, la diplomatie hongroise a cherché une sortie politique honorable de cette crise en proposant des solutions pour la stabilisation et la refonte de l’Europe du Sud-Est. La Hongrie a fait ses preuves pendant la crise, tout en préservant l’essentiel pour elle (i.e. la poursuite des négociations d’adhésion ŕ l’Union Européenne). Le degré de maturité et d’émancipation politique atteint par la Hongrie contrasta de façon flagrante avec la violence du conflit et l’irresponsabilité des acteurs en ex-Yougoslavie ou les démonstrations de force de la Russie. Pour autant des crises majeures peuvent éclater dans l’immédiat voisinage de la Hongrie : hormis l’Autriche, les voisins n’ont pas encore atteint la stabilité et la prospérité nécessaires ŕ la consolidation de l’Europe centrale et du Sud-Est. Ces nouveaux défis peuvent mettre ŕ l’épreuve la diplomatie hongroise et celle de ses alliés qui devront déployer des efforts considérables de long terme afin de pouvoir comprendre et résoudre les problčmes de la région.
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